Thérapie Centrée sur les Emotions (Emotion-focused Therapy - EFT)
Interview du Prof. Leslie Greenberg, Ph.D.
par D.M. Sloan, Université de Temple
Traduction : Denise Schiffmann, psychologue clinicienne
DS : Les, vous parcourez le monde pour former les professionnels de la santé mentale à votre thérapie Emotion-focused Therapy-EFT (Thérapie Centrée sur les Emotions) et pour la 1ère fois vous venez la présenter aux professionnels francophones ; nous vous remercions et sommes honorés que vous ayez choisi la France pour cela. Alors pour commencer peut-être pouvez-vous nous dire comment cela a commencé ?
LG : Depuis le lycée, je m’intéresse à l’être humain. A cette époque, je m’impliquais et j’organisais des groupes d’amis à l’école pour travailler sur le « sens de la vie ». Nous partagions tous le même intérêt pour les relations humaines et deux de mes amis après un passage en tant que musiciens de jazz sont devenus psychiatres et actuellement psychanalystes. Ainsi, j’ai commencé très jeune d’une certaine manière à m’intéresser à la psychothérapie. Je savais pour autant que je ne souhaitais pas embrasser une carrière de médecin et fort de mon vif appétit pour les maths et la physique, je me suis engagé dans des études d’ingénieur et non de physique pure, car cela supposait davantage de travail avec les êtres humains. Mon métier d’ingénieur ne me satisfaisait pas pleinement alors je me suis dirigé vers l’ingénierie industrielle, toujours pensant pouvoir davantage intégrer une dimension humaine à mon travail.
J’ai quitté l’Afrique du Sud en 1968 pour des raisons politiques. Je suis arrivé au Canada des années 60 dans le contexte de l’exploration du Soi. Mon épouse avait un diplôme en psychologie et je me suis initialement orienté vers un doctorat en Counseling à l’Université de York à Toronto. J’étais élève de Laura Rice, formée au Centre de Counseling de Chicago avec Rogers et j’étais convaincu que la motivation principale à explorer ce domaine était la curiosité. C’est ce contact avec la curiosité, qui a le plus influencé mon parcours en tant que thérapeute et chercheur en psychologie clinique.
DS : Quels sont les courants d’origine, qui ont influencé votre formation ?
LG : J’ai commencé par me former en tant que thérapeute à l’Approche Humaniste Centrée sur le Client de Rogers puis à la Gestalt. Après sept années, je me suis également formé à la thérapie systémique au MRI (Mental Research Institute) de Palo Alto.
DS : Pouvez-vous nous décrire brièvement votre Thérapie Centrée sur les Emotions (Emotion-Focused Therapy - EFT) ?
LG : Deux principes fondamentaux sont à l’origine de l’EFT en somme. L’ajustement empathique aux affects en constitue une brique très importante, en ce sens qu’être ajusté ainsi aux sentiments, éprouvés par autrui, permet de reconstruire une régulation émotionnelle au sein de cette relation privilégiée. Ainsi, en tant que thérapeute EFT on tente diverses méthodes à divers instants, dans le but de faire émerger différents types de processus émotionnels. Tout cela fonde l’importance donnée à l’attention aux émotions, qui comprend à la fois une certaine forme de relation d’aide basée sur l’empathie pour réguler les affects et d’engagement dans les différentes interventions spécifiques. On peut se focaliser sur les processus instant après instant, comme, par exemple, soit en attirant l’attention de la personne sur ses sensations physiques soit en lui proposant d’imaginer son interlocuteur, dont il est question dans le récit, voire même imaginer lui parler. Nous avons identifié environ six à sept types de problématiques émotionnelles, telles que les sentiments négatifs non résolus envers une figure significative et les conflits internes.
DS : Quels sont les éléments, qui distinguent l’EFT des autres modèles thérapeutiques ?
LG : Tout d’abord, l’EFT est centrée sur l’émotion et la considère comme le mobilisateur primaire de l’expérience humaine, de telle sorte que les cognitions et comportements en dépendent. L’EFT s’attache à modifier les émotions ressenties. Ce qui la distingue, c’est son fondement empirique. Son efficacité a été validée sur la base de sa méthode systématique pour aborder les affects. D’autres approches travaillent aussi avec les émotions mais n’ont pas fait l’objet de recherches et n’ont, de ce fait, pas été autant mises à l’épreuve d’études systématisées ni explicitées ni fondées sur l’observation.
DS : Puisque l’affect est à l’origine de la cognition selon vous, pouvez-vous nous donner votre point de vue sur l’approche des Thérapies Cognitivo-Comportementales, qui reposent sur les cognitions et les comportements ?
LG : Oui, cela pose de mon point de vue plusieurs problèmes. Je considère que la thérapie cognitive est utile en tant qu’intervention brève pour s’entraîner à développer des stratégies d’adaptation. Pouvoir s’adapter est un résultat très louable, toutefois on ne peut comparer l’adaptation à une restructuration ni à un changement fondamental. Etre capable d’avoir un monologue intérieur tel que « tout va bien, ne sois pas anxieux » ou « pense à quelque chose de plus positif tel que sois sans inquiétude » est de toute évidence utile si l’on cherche à faire face, mais je ne suis pas sûr que les stratégies d’adaptation conduisent néanmoins aux changements : car on passe le reste de sa vie à s’adapter. Ce que j’essaie de réaliser, c’est d’accéder en profondeur aux déterminants, sous-jacents aux affects problématiques. Si on peut expérimenter le changement à cet endroit, on n’éprouve plus le besoin de s’adapter, parce que l’on a tout simplement changé. Je suis convaincu que s’éprouver dans le monde réel et réussir toute expérience conduit au changement. De telle sorte que parfois, plus on s’adapte, plus on agit dans la vie avec succès, plus on s’octroie ainsi un feedback expérientiel, modifiant les structures profondes. Ainsi, à long terme on peut changer grâce à l’adaptation mais en cas d’expériences trop intenses ou de crises, ces stratégies d’adaptation atteindront leur limite pour faire face et éviter la chute. Seul un processus profond de changement pourra constituer une aide significative face à de telles situations.
DS : En combien de séances est-il possible d’observer un changement profond ?
LG : Nos études sur les troubles dépressifs, qui constituent la plus grande part de notre recherche, ont démontré un changement significatif en seize séances. Si tant est que ces patients arrivent avec la capacité d’expérimenter, c’est-à-dire d’être attentifs à leurs expériences ressenties physiquement et de pouvoir les nommer. Pour ceux, qui au début de leur thérapie sont très coupés de leurs vécus émotionnels, notamment sans pouvoir symboliser leur propre expérience, à la fin de la seizième séance, ils se rapprochent de ceux, qui, du fait de leur aptitude de base à vivre leurs émotions, peuvent éprouver davantage de réussite dans leurs expériences. Je préconiserai pour de tels patients seize séances supplémentaires. Ainsi, cela dépend vraiment de chaque patient. Je dirai en gros que seize séances est un bon minimum dans un accompagnement fondé sur ces méthodes plus actives centrées sur les émotions, qui permettent d’accéder au cœur des problématiques pour les traiter. Tout patient atteint d’un trouble plus sévère ou chronique aura besoin de davantage de séances.
DS : Même trente deux séances semblent être rapide pour modifier les types de structures sous-jacentes, que vous évoquez.
LG : En effet. Il ne s’agit pas non plus d’une restructuration totale de la personnalité mais les méthodes émotionnelles sont très efficaces et puissantes pour atteindre des problématiques clés très rapidement et de façon profonde ; ainsi, cela concorde avec le but de la thérapie, de s’attaquer au cœur du matériel psychologique.
DS : L’EFT semble être empreinte d’éléments clés d’autres modèles thérapeutiques, tout en se réclamant différente à des endroits fondamentalement essentiels ; pouvez-vous nous dire comment vous avez développé l’EFT ?
LG : Tout à fait. Une précision tout d’abord, j’ai principalement parlé de la thérapie individuelle et non de la thérapie de couples, qui en fait également partie. A l’origine j’ai été formé en tant que thérapeute centré sur la personne puis gestaltiste; j’ai, également, travaillé avec Laura Rice, élève de Carl Rogers, ce qui m’a conduit à débuter mon parcours en tant que chercheur orienté-processus, en parallèle de ma formation en psychothérapie. Depuis le 1er jour, j’ai visionné des vidéos de séances thérapeutiques. J’ai abondamment développé l’EFT à partir de la recherche, sur les processus de changement. Le 1er ouvrage, que nous avons coécrit avec Laura Rice, s’intitulait « Patterns of Change » (en français Les Processus eu Changement). Puis, j’ai exploré les thérapies, dans lesquelles je m’étais formé, dans le but d’identifier quels étaient les processus de changement les plus actifs. Nous avons cherché à mesurer ces processus. C’est à cette époque, que j’ai intégré l’Approche Centrée sur le Client et la Gestalt à ma pratique. J’étais également très intéressé par les cognitions, du point de vue des sciences cognitives. Au cours de mon doctorat, j’ai étudié le développement cognitif et, en parallèle avec Pascual-Leone, élève de Piaget, ce qui m’a fortement sensibilisé aux processus cognitifs et affectifs. Cependant la thérapie cognitive, point de vue élémentaire des cognitions, ne m’intéressait pas. Mon intérêt se portait davantage sur le rôle de l’attention, avec la notion de schèmes ou schémas de Piaget, puis ensuite avec la théorie sur les émotions. Fort de toutes ces influences, je me suis ainsi concentré sur l’étude des processus de changement à travers la loupe des cognitions et des émotions et leur mise en place. Ce qui m’a amené à intégrer le tout, et plus particulièrement j’ai intégré des interactions plus actives empruntées de la Gestalt-thérapie avec la manière de créer du sens du point de vue des thérapies cognitives, le tout au sein d’une relation orientée-client. En parallèle, j’ai été également influencé par l’approche psycho-dynamique à travers de nombreuses lectures sur le sujet. J’ai commencé à étudier, plus particulièrement, le conflit intrapsychique et sa résolution par les patients eux-mêmes, ou en utilisant la terminologie de la Gestalt, les conflits internes, qui sont des conflits plus conscients. Ainsi, j’ai commencé à construire mon propre modèle de processus de changement. Le processus de résolution semblait être un conflit entre deux individus, à cette exception près, que les deux voix se parlaient à l’intérieur d’une seule et même personne. En parallèle, je me suis beaucoup intéressé à la thérapie de couple et familiale et je me suis formé avec des professionnels, tels que Virginia Satir puis Minuchin pour ensuite continuer à me former à Palo Alto et étudier avec des praticiens de l’approche systémique. J’ai focalisé mon attention ensuite sur comment les couples procèdent pour résoudre leurs conflits ce qui m’a conduit à élaborer une Thérapie de Couple Centrée sur les Emotions, qui avait pour fondement la primauté des émotions couplée à l’interaction. J’ai intégré de nombreux concepts; de mon expérience avec les familles en thérapie familiale, j’ai pris la manière avec laquelle le thérapeute pilote l’entretien, c’est-à-dire le structure et guide les patients. Tout cela a nourri en retour mon approche de la thérapie individuelle.
J’en suis, finalement, arrivé à l’idée du thérapeute, adoptant une posture de coach émotionnel plutôt que la posture actuelle du thérapeute agissant en coach facilitateur, qui accompagne les patients dans leur prise de conscience émotionnelle, la régulation, la transformation etc....Ainsi, l’EFT intègre une kyrielle de différents courants mais le fondement demeure l’intégration de l’Approche orientée-client et de la Gestalt avec le cadre des sciences de la cognition et de l’affect.
DS : Si l’on prend en considération les nombreux courants, qui ont fondé le développement de ce modèle thérapeutique, selon vous quels ont été les principales modifications apportées au modèle au cours des années ?
LG : Je dirai que j’ai démarré avec une approche plus d’accompagnement que de guidance. Il s’agissait davantage d’une approche miroir, avec l’idée tout de même que le patient possède ses propres ressources et nécessite d’être accompagné pour les actualiser. De là j’ai progressé davantage vers le point de vue interpersonnel et co-constructiviste, selon lequel ce qui se passe au cours de la séance est supérieur à l’apport fourni par l’environnement. En plus du soutien apporté aux patients pour accéder à leurs ressources et réfléchir à leurs verbalisations, je les conduis en agrégeant subtilement des informations, et les guide à travers le processus pour les amener à leur zone de développement proximale. J’essaie de les diriger en me servant de ce qui est le plus utile à ce moment là, c’est-à-dire le fait d’être ensemble pour co-construire quelque chose de nouveau. Ainsi, désormais tout n’incombe pas au patient, pour qui ma présence est une aide pour se libérer mais il y a en fait un phénomène, qui se passe entre nous, qui recèle le processus de changement. Je vois en cela l’évolution la plus significative du modèle. La pratique des thérapies de couple et familiales m’ont facilité une posture plus active, en m’autorisant de faire des suggestions, annihilant le sentiment de toute distorsion potentielle ou intrusion par le thérapeute vis à vis du patient. Nous avons constamment adopté l’approche, selon laquelle le thérapeute n’est pas l’expert de l’expérience vécue par le patient. C’est le patient lui-même, qui est véritablement l’expert ; il s’agissait, donc, de déterminer notre contribution dans le respect du patient, notamment sans rien lui imposer ni déformer de sa propre expérience. Il nous est apparu finalement que nous étions davantage directifs au niveau du processus que du contenu. Nous ne verbalisons pas au patient ni ne lui suggérons ce qu’il ressent mais nous lui suggérons des voies à emprunter pour mieux être en contact ses propres sentiments ou les élaborer. Par exemple, en guidant son attention sur ses sensations physiques ou pour parler à une chaise vide, je fais des suggestions, qui vont, j’imagine aider le patient à élaborer ses émotions d’une certaine manière, c’est ce que j’appelle être directif dans le processus à suivre et non dans le contenu.
DS : Il semble que l’empathie fait partie des éléments clés que le thérapeute EFT se doit de développer en priorité pour ensuite espérer construire à partir de là. Nombre de formations cliniques ne semblent pas intégrer l’empathie comme élément de leur programme.
LG : Oui, vous avez totalement raison. Je pense que c’est extrêmement regrettable. Dés le début de mes études, je me suis formé pour développer l’empathie et cela constituait les fondamentaux de ma formation.
A l’Université de York, je suis en charge d’un cours de thérapie de quatre années, qui contient une UV pratique de deux heures par semaine uniquement focalisée sur une formation à l’empathie. Les étudiants de 1ère année ont l’obligation de faire des stages basés sur l’empathie et de se former pour la développer. L’empathie, de mon point de vue, constitue la clé de voûte et il est impressionnant d’observer comment, en formation, la routine s’impose.
Voilà l’un des grands préjudice car l’empathie faisait partie de nombreux programmes de formation pour complètement disparaître, essentiellement avec la domination des TCC (Thérapies cognitivo-comportementales) en tant que traitement basé sur l’empirisme. L’empathie a, en quelque sorte, perdu de son emphase. Dans les TCC, on parle de rapport. Le rapport n’est pas l’empathie.
DS : Je suis tout à fait d’accord avec vous. L’empathie constitue une des compétences clés pour le thérapeute et je doute que l’on puisse devenir un bon thérapeute sans avoir développer une telle compétence. Je pense, par ailleurs, qu’il y a peu de monde, qui sait apprécier la difficulté à apprendre à être réellement à l’écoute des patients.
LG : Tout à fait. L’empathie est la compétence la plus essentielle. A partir de l’empathie, il est plus facile de comprendre la tension, qui existe entre suivre et diriger. Il est crucial de développer les compétences d’accompagnement ou d’écoute, avant de développer celles permettant de diriger. Cela m’a pris de nombreuses années avant d’arriver à les intégrer. De nombreux étudiants ainsi que des thérapeutes en général désirent conduire le processus, souhaitent être actifs mais la réelle compétence est la présence et l’écoute de ce qui se passe réellement. Idéalement je souhaiterai voir les étudiants passer deux années à travailler sur l’empathie et juste expérimenter cette posture d’écoute, avant d’intervenir de façon plus active. Il n’est pas simple d’être à l’écoute réellement et encore moins d’écouter les affects, ce qui est très important.
DS : Il est clair que la qualité d’écoute du thérapeute et plus précisément l’écoute des affects est essentielle dans le modèle EFT. Partant de ce constat, selon vous, est-ce qu’il est important pour les étudiants qui se forment de suivre eux-mêmes une thérapie?
LG : A mon avis, cela ne peut être que bénéfique, spécialement en travaillant avec les émotions. Il s’agit d’un processus a - rationnel, pour lequel on ne peut juste se contenter d’une formation rationnelle sur le travail avec les émotions, sans en avoir fait soi-même l’expérience.
Le thérapeute ne pourra jamais mieux comprendre et appréhender à quel point l’évitement émotionnel est néfaste et l’expérience de la souffrance bénéfique, qu’à condition d’avoir l’expérience de la confrontation à sa propre douleur et d’en tirer lui-même les bénéfices.
De nombreuses raisons rationnelles peuvent de toute évidence expliquer le bénéfice qu’il y a à s’ouvrir émotionnellement à une souffrance. En fait, que ce soit par le truchement d’une thérapie personnelle ou d’une formation, intégrant des aspects expérientiels, je pense que c’est fondamental. Je suis convaincu en effet qu’une thérapie personnelle est probablement le terreau bénéfique pour devenir un bon thérapeute.
DS : Ce que j’ai remarqué en supervisant les thérapeutes débutant, c’est que ces derniers s’identifient à leurs patients et évitent les émotions négatives. Le thérapeute qui débute semble ne pas vouloir voir son patient se sentir mal et ne pas savoir apprécier l’importance pour le patient d’expérimenter des émotions négatives au cours de la thérapie.
LG : Tout à fait. J’ai pu identifier en effet, que parmi mes étudiants, ceux qui ont suivi une thérapie ont développé plus de capacités à apprécier cela profondément et à ne pas s’identifier ou tenter d’aider le patient à aller mieux, en se tenant éloigner des moments difficiles.
DS : Si pour n’importe quelles raisons un étudiant ne souhaite pas suivre une thérapie, que lui recommanderiez-vous de faire en remplacement ?
LG : C’est une question intéressante. En fait, dans mon ouvrage, « Emotion Coaching », je présente plusieurs exercices à réaliser soi-même pour apprendre de façon expérimentale. Je ne suis pas un grand fan des livres d’auto-formation, même si certains ouvrages suggèrent des méthodes de travail sur ces points, et permettent de développer une certaine prise de conscience. Des formes d’expériences, promouvant la médiation et la pensée réflexive, par exemple, peuvent être très utiles. La thérapie n’est pas le seul et unique moyen de prendre conscience. Il y a d’autres voies pour y parvenir à travers les relations personnelles, le focusing, l’auto-analyse, etc...mais cela revient toujours à travailler sur soi pour accroître sa prise de conscience.
DS : A votre avis, existe t-il un patient idéal pour l’EFT ?
LG : Le patient idéal est celui, qui est déjà capable de symboliser ses propres expériences intérieures, ce qui lui permet d’être fin prêt pour rentrer dans ce processus. Toutefois, les patients qui probablement en bénéficient le plus, sont ceux que l’on diagnostique alexithymiques, et qui présentent des difficultés à mettre des mots sur leurs émotions. Pour ces patients-là ce type de processus d’apprentissage pourrait se révéler très fructueux, même s’ils ne représentent pas le patient idéal. En somme, l’EFT peut être prescrite de façon générale à tout patient prêt à suivre une thérapie, c’est-à-dire peu hostile, évitant ou souffrant de troubles de la personnalité sévères, telles que les personnalités borderline ou les personnes ayant des comportements auto-destructeurs. Ces patients ne représentent pas des patient idéaux, quelle que soit la thérapie.
DS : Sur cette base, que suggérez-vous de faire avec un patient extrêmement évitant du point de vue émotionnel ?
LG : Les aspects de l’approche de la thérapie comportementale dialectique m’ont impressionné pour les patients souffrant de troubles sévères. Je pense que l’idée d’un programme psycho-éducatif intense est intéressante car elle permet aux patients de se retrouver réunis, d’apprendre combien il est important de faire face à ses émotions et d’avoir des exercices à faire. En parallèle, le patient suit une thérapie individuelle au cours de laquelle il peut mettre en pratique ce qu’il a appris en groupe, de façon plus intense grâce à une relation thérapeutique validante. Selon moi, le problème réside dans le fait que sans l’élément psycho-éducatif, on peut passer beaucoup de temps en début de thérapie à essayer d’éduquer les patients et cela modifie la nature de la relation patient-thérapeute. Il est plus délicat pour le thérapeute d’être empathique du fait de sa posture d’éducateur, ayant en quelque sorte à convaincre et à persuader. Par exemple, pour les patients souffrant de troubles psychosomatiques qui sont souvent évitants, il me semble nécessaire d’une part de faire de la psycho-éducation et d’autre part de développer une relation vraiment empathique et nourricière pour les aider à travailler seuls et avec une tierce personne. Tout exercice réalisé en dehors du contexte d’une relation ne permet pas d’appréhender aussi significativement l’importance, que joue une relation empathique pour gérer ses propres affects. Il ne s’agit pas seulement d’une habileté individuelle, il s’agit en fait d’un phénomène relationnel - la régulation affective dyadique.
DS : Je vous ai interrogé sur les évolutions que l’EFT a suivi au cours des années, selon vous quelles sont les évolutions futures du modèles ?
LG : Je vais juste revenir en arrière une minute pour vous décrire les évolutions de l’EFT. Le plus important changement réside dans la focalisation sur l’affect. Au début, l’EFT ne se focalisait pas explicitement sur les émotions. Etre de plus en plus clairement centré sur les émotions constitue la pierre angulaire de l’évolution de cette thérapie. En ce qui concerne le futur de l’EFT, l’important à mes yeux est d’élargir les évaluations empiriques avec différentes populations cliniques. Nos travaux se sont principalement centrés sur les troubles dépressifs et les questions relatives aux troubles interpersonnels ; toutefois, enrichir l’EFT avec des données afférentes aux troubles anxieux et du comportement alimentaire serait judicieux. Par ailleurs, un autre axe serait de développer davantage de modules de formation, ayant pour objectif d’accroître la prise de conscience émotionnelle pour plus de prévention à l’attention des adolescents et jeunes adultes. Une telle formation exigerait d’être réalisée de façon expérientielle avec pour objectif majeur de permettre aux patients de développer leur intelligence émotionnelle. Non pas pour déterminer de façon globale leur niveau d’intelligence mais davantage pour savoir comment ils utilisent leur intelligence émotionnelle. Ainsi parmi les évolutions envisagées, je vois l’accroissement des compétences et aptitudes individuelles dans la prise de conscience, l’utilisation et la transformation des émotions. Il semblerait important de se diriger vers la prévention. Quant à la thérapie de couple, il me semble y avoir encore beaucoup d’espace libre pour développer la théorie. Nous avons énormément traité de l’affiliation et de l’attachement, et peu ceux du pouvoir, du principe de réalité et de l’autonomie. Dans le modèle circomplexe, comptent à la fois l’affiliation et l’autonomie. Nous avons, à ce jour, traité uniquement une dimension de l’affiliation et je suis, toutefois, très intéressé de traiter l’affect lié au pouvoir, la domination et l’autonomie et de réfléchir au travail avec les patients, qui au sein des relations interpersonnelles, gèrent les émotions davantage liées à l’autonomie.
DS : De façon plus large, quelle est votre vision de la psychothérapie dans les années à venir ?
LG : Je n’ai jamais été vraiment bon pour prédire l’avenir. Selon moi, l’avenir c’est d’aller vers toujours plus d’intégration. Voilà ce que j’espère voir arriver, tout autant que ce que je prédis. Nous finirons bien par intégrer, mais, actuellement, nous nous trouvons plus au tournant des thérapies par A plus B, thérapies cognitivo-comportementales émotionnelles, qui intègrent ces trois éléments. Cela ne rend pas assez justice à mes yeux aux composants psychanalytiques et motivationnels, qui, du fait de leur complexité, sont si difficiles à spécifier et à rendre intelligibles au sein d’un manuel. Selon moi, notre domaine d’activité verra davantage d’intégration, alliant le biologique, l’affectif, le comportemental, le cognitif, le motivationnel, l’interactionnel et le social. Je fonde mes espoirs sur des étudiants, qui, au final, ne se formeraient pas aux différentes thérapies mais plutôt sur les manières de travailler avec l’affect, les cognitions, les comportements et les interactions. On ne leur enseignerait pas les thérapies cognitives ou les thérapies orientées-relations. Les écoles disparaîtraient au profit de l’enseignement des processus.
DS : Votre vision, est une vision à long terme ?
LG : Tout à fait, je pense que nous en sommes loin aujourd’hui.
DS : Quelle est l’influence de la gestion des soins sur la psychothérapie selon vous ?
LG : En fait, au Canada, la gestion des soins n’existe pas mais je pense que cela a représenté à court terme l’impact le plus désastreux sur la thérapie actuelle car cela n’existe que depuis 50 ou 60 ans. J’ai une anecdote canadienne délicieuse à vous raconter. L’administrateur d’un hôpital, fort de son MBA, dés son arrivée en prenant la direction de l’établissement a déclaré « je constate que le temps moyen de contact entre patient et médecin dans cet hôpital est de huit minutes mais en psychothérapie il passe à une heure. Pourriez-vous le réduire à huit minutes ? » Cela met en exergue le point de vue des administrateurs, qui se place au-dessus de ce que les thérapeutes tentent de réaliser. Ainsi, la gestion des soins n’a pour unique objectif que de rationaliser le temps, l’efficacité, l’efficience en ignorant ce qui est réellement réalisé. La gestion des soins a, de ce fait, privilégié les interventions de courte durée, extrêmement spécifiques et a, de mon point de vue, porté un énorme préjudice au développement de la psychothérapie.
DS : Je vous ai posé beaucoup de questions ; à ce stade, je me demande si selon vous il y a d’autres points à aborder.
LG : En fait, en rapport a ce dernier sujet, j’ai le sentiment que la thérapie c’est avant tout une rencontre humaine et que l’élément humain est totalement sous-évalué et minimisé dans les environnements de formation universitaire. En définitive, la thérapie est une histoire de rencontre entre deux personnes et représente en ce sens une expérience personnelle. La thérapie transcende les études scientifiques ou tout au moins certains éléments les transcendent. On n’y attache, par ailleurs, pas suffisamment de valeur ni d’attention. Je crois en la valeur de l’investigation scientifique mais la question, qui se pose c’est celle de l’équilibre entre la perspective humaine, interpersonnelle et la perspective scientifique d’investigation et leur égale valorisation. De nos jours, on attache davantage de valeur à la perspective scientifique et objective et on dévalorise la perspective plus humaine de l’accompagnement, ce qui je déplore. Le mieux serait d’intégrer ces deux perspectives dans le respect de chacune d’elles.
Formations aux professionnels
inédit pays francophones
Interview de L. Greenberg :
Parcours et Fondements Théoriques de l'EFT (Emotion-focused Therapy)
> Lire l’interview de L.GreenbergOnt contribué au développement de l'EFT
A gauche, Rhonda N. Goldman, PhD co-auteure d'ouvrages avec L.Greenberg et Directrice Associée de l'Institut EFT à Chicago.
A droite, Jeanne C. Watson, PhD co-auteure d'ouvrages avec L.Greenberg, principale représentante de la psychothérapie expérientielle humaniste.
Robert Elliot, PhD co-auteur d'ouvrages avec L.Greenberg, Professeur EFT en Ecosse, aux Pays Bas et en Belgique et Chercheur notamment sur l'EFT pour les troubles anxieux.